« J'exagère peut-être un peu, mais ce qu'il te faut d'ores entraver, c'est que nous autres, princesses, reines et saintes catins, le sens de l'aventure et le goût des contrées inconnues ne sont pas exactement ce qui nous définit le mieux. Tu as vu que j'étais tout de même plus avisée que la plupart. Ce n'est pas bien difficile : depuis toutes petites, on nous a expliqué qu'il fallait prier, se marier, pondre nombre children, sourire à s'en sécher les dents, éventuellement crever dans d'atroces douleurs gynécobstrétiques afin que nostre husband puisse se remarier avec sa nièce de douze ans. »
Yolande d’Aragon a un plan pour bouter les anglais hors de France : elle achète une quinzaine de petites filles à des paysans pauvres, s’occupe de leur éducation et en fait des guerrières. Et elles s’appelleront toutes Jehanne. L’une d’entre elle, Jehanne la douzième, va devenir la véritable Jeanne d’Arc, moyennant une biographie plus ou moins inventée par Yolande. Manque de Chance, cette Jehanne ne correspond pas trop à ce qu’elle voulait : elle n’est pas très appliquée en cours, ne parle pas beaucoup, mais combat comme une lionne. Et ne dédaigne pas un peu de cannibalisme pour reprendre des forces après avoir tué quelques dizaines d’ennemis. Mais le véritable adversaire va être plus coriace : dotés de multiples tentacules et de trois yeux, il détient aussi un magicien fou prénommé Abdul.
Écrit dans un mélange d’anglais de cuisine et de faux vieux français, d’argot et de néologismes, saupoudré de divers jurons et autres vulgarités, Fantaisies Guérillères annonce clairement la couleur : on est là dans un récit délirant, tordant l’Histoire en la mélangeant à diverses références de la culture geek et ne refusant aucun excès. On pensera évidemment à l’excellent Bastard Battle de Céline Minard, qui mélangeait déjà dans le moyen-âge français ninjas et billy the Kid. Guillaume Lebrun est certainement moins fin que Céline Minard et plus brutal, mais la farce marche très bien. A côté de ces références (certaines sont bien trouvées, d’autres arrivent un peu comme un cheveu sur la soupe), cette armée féminine (le guérillère du titre est sans doute une référence au livre de Monique Wittig) n’a pas de limite et, laissant les hommes de côté, se jette dans un combat épique contre les forces du mal jusqu’à une bataille finale que ne renierait pas beaucoup d’auteurs de fantasy.
Alors certes, le style ne plaira pas à tout le monde, certain·e·s seront même totalement allergiques, mais une fois rentré dans le roman celui-ci se dévore avec plaisir et amusement, comme si l’on mangeait un plat énorme aux ingrédients inhabituels, bien trop gras mais tellement savoureux.